vendredi 13 novembre 2009




venin de serpent ?

Article du Dr Max Santoul - Paris


Ève venait à peine de goûter au fruit défendu, que déjà elle redoutait l'annonce programmée du vieillissement conduisant vers le destin inéluctable qui lui était promis. "Sers toi de mon venin - lui dit le serpent - et tu resteras éternellement jeune". Chacun connaît le résultat de ce marché de dupe, et encore davantage ceux qui se confondent en repentance face au péché originel. L'orgueil, le besoin de savoir et l'accès à la connaissance, peut-être aussi l'exubérance des plaisirs, sont entrés dans la danse. Les années ont passé et le serpent est toujours rampant !


Que savons-nous de son venin ?

D'abord qu'il contient des toxines sous forme d'enzymes : protéases (détruisant les tissus organiques), hyaluronidases (qui augmentent la perméabilité et donc la propagation du poison), phospholipases (qui attaquent les membranes cellulaires) et phosphatatses (qui dégradent de nombreuses substances).

Mais aussi qu'il peut paralyser la proie (effet neurotoxique), rendre le sang incoagulable (ou son contraire), provoquant parfois un syndrome de coagulation intravasculaire disséminée, véritable cataclysme hémorragique avec infarcissement fatal de la plupart des organes. Une sorte d'empoisonnement en avalanche sans espoir d'en réchapper. Bon, arrêtons là les frayeurs !


Que dire de serein par rapport aux actifs complexes de ce poison ?

La cible varie selon la nature des assemblages de protéines (polypeptides) qui agissent par effet direct ou par leurs conséquences :

- neurotoxines dont l'action paralysante est comparable à celle du curare (curare-like), mais insensible aux antagonistes réputés efficaces (comme l'ésérine qui perd son pouvoir d'antidote face à ce type d'intoxication) et directement agressives sur le neurone, en affectant l'exocytose par impossibilité d'émettre les neuromédiateurs au niveau des synapses ;

- hémorragines causant des hémorragies redoutables ;

- hémolysines attaquant les globules rouges du sang (hémolyse) et empêchant la phagocytose des globules blancs (expliquant les infections secondaires conséquentes) ;

- cytolysines détruisant les cellules, à l'origine de nécroses et de gangrènes, parfois jusqu'à l'os (comportant des myotoxines actives sur les muscles) ;

- substances histaminiques entraînant des réactions vasomotrices responsables du choc (chute brutale de tension) observé après morsure ;

- et des peptides détruisant le pancréas (hyperglycémies fulgurantes et faillites digestives), le rein (insuffisance rénale irrémédiable), le myocarde (infarctus massif)...

Il existe encore beaucoup d'autres actions enzymatiques combinées, si bien qu'il est impossible d'établir une systématisation des venins. Chacun diffère de l'autre et même évolue au cours du temps.

Des vipères en France, par exemple, ont développé récemment des pouvoirs toxiques supplémentaires, ce qui signe une adaptation permanente au cours de l'évolution des espèces. Les sérums de défense des victimes potentielles ayant progressé, le serpent du jardin d'Éden, qui veille sur sa descendance, lui procure le moyen toujours aussi efficace de provoquer la mort.

Moi qui parlait de sérénité, nous sommes servis !


Et voilà que l'homme, désireux de récolter les intérêts de cet investissement si coûteux, décide d'aller cherche le bénéfice à sa source.

Ce qui est utilisé en cosmétique viendrait du venin d'une vipère asiatique. Il y a toujours dans l'exotisme un goût suave de l'exquis, et le mystère s'est donc épaissi en offrant à l'Occident des pouvoirs magiques venus d'Orient. Il y a tout de même une raison pour cet attrait vers l'Asie. De l'Inde au Japon, la beauté du corps fut assimilée très tôt au bon équilibre de l'esprit, et la nature est vénérée pour détenir les principes actifs de l'éternelle jeunesse. Vieillir est culturellement pressenti comme une offense aux divinités, et les soins de la peau se parfument de rituels ésotériques.

Je vous entends dire : "Mais pourquoi diable utiliser la violence pour faire entendre raison ?" Car il ne vous aura pas échappé que c'est souvent le cas. La réponse est finalement assez simple. Depuis que la vie a établi des priorités dans l'exercice des fonctions organiques, elle a aussi donné le pouvoir aux appareils et aux systèmes de réagir face aux agressions, et ce de manière bien souvent opportune. Le cœur, par exemple, surchargé de travail par l'exercice physique, va augmenter sa résistance et s'adapter à l'effort (c'est le principe de l'entraînement sportif) ; le système immunitaire, tourmenté par des toxines diverses, saura développer des défenses à leur encontre (c'est le principe de la vaccination). Rien de bien étrange, donc, que la peau réponde favorablement aux épreuves. Le tout est qu'elles soient contrôlées et qu'elle n'en garde pas ombrage, car il y a aussi une mémoire des malheurs.


Voyons le problème de plus près.

Ce venin, dit-on, aurait le pouvoir de paralyser les muscles peauciers, à l'image de la toxine botulique (Botox-like) dont nous parlerons plus tard. Mais que penser d'une baisse de tension des muscles sous-cutanés, alors que le lifting se propose justement de les retendre ? De plus, ce système étant sous le réseau de drainage organisé en maillage serré dans les couches moyennes et profondes de la peau, il aurait vite fait d'éliminer la moindre trace de poison et de l'emporter… ailleurs !

Rappelons que le terme venimeux inclue un principe d'injection, et que vénéneux l'ignore. Privé d'un moyen d'inoculation, il reste donc aux toxines à franchir la barrière de protection de l'organisme. Ce qui est vite fait en matière digestive, d'où l'empoisonnement par ingestion de champignons vénéneux par exemple, mais difficile pour la peau réputée étanche aux agressions de ce type (c'est même l'une de ses vertus essentielles).

Donc, s'il y a un effet, il est sûrement d'origine différente. Peut-être par le biais des enzymes dont le rôle n'est pas encore bien établi (mais les processus d'élimination et de synthèse pourraient être relancés, comme la pénétration améliorée des actifs complémentaires contenues dans les crèmes qui le revendiquent en jouant sur la perméabilité des tissus et le franchissement des membranes cellulaires).

Il pourrait aussi ne s'agir que d'un effet tenseur de surface du produit (la modification de polymères au contact de l'air peut induire un lissage de l'épiderme), sans la moindre action en profondeur, donc sans le moindre risque (car les rides peuvent aussi bien s'estomper en tendant la peau, que par effet inverse en jouant sur la relaxation). Et s'il y avait vraiment un effet global relaxant ? Alors là, retenons notre souffle, car une peau détendue se dirige inexorablement vers le bas !

Mais, sans faire les pieds au mur pour que les joues remontent ver le haut, une bonne surprise reste toujours possible. Ma foi, ce ne serait que justice après avoir payé si cher la première tentation divine.

Rédaction sous copyright du Dr. Max Santoul

Extrait de "La Beauté dans la Peau" - Le Cherche Midi

TEXTE PROTÉGÉ PAR DROIT D'AUTEUR REPRODUCTION INTERDITE


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Pour plus d'informations, lire

"La Beauté dans la Peau"

éditions du Cherche Midi.

1 commentaire:

Max Santoul a dit…

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